[Palais du Gouverneur] Convictions et remords

L'on fit entrer le seigneur Maedui dans la Salle du Trône où Télamon montrant son dos à l'entrée et faisant face à son propre siège était au centre de la lumière du dôme traversant en ce jour de ciel bleu, miracle de saison.

Un homme annonça l'entrée du seigneur alors que l'on ouvrait les deux portes et que les quatre gardes se postaient de parts et d'autres. Le tapis de la Traversée était brossé par quelques serviteurs, de même l'on semblait essuyer la poussière des sièges des balcons à l'étage et des scribes autour du gouverneur en dehors du halo de lumière, tel des membres d'une sombre secte, donnaient les derniers chiffres et informations sur la situation de la Colonie. Tout le monde s'écarta immédiatement arrêtant sa besogne alors que le chef des Partisans entrait. Les scribes cessèrent d'écrire sur les parchemins posés sur des planches posées sur des trépieds ou à même le dos d'un compère et Télamon se retourna et faisant un signe qu'il continuerait plus tard.

Sa vue s'adapta à la pénombre du fond de la salle très rapidement et l'on pouvait déjà voir un sourire traverser son visage.

Télamon n'attendit pas qu'il arrive à sa hauteur pour le saluer, de loin il baissait la tête, satisfait de voir son plus loyal serviteur venir à Port Sâr pour s'entretenir avec lui.

Les serviteurs et les scribes prirent leurs affaires et en un rien de temps il sortirent de la Salle du Trône.

Vicomte Maedui de Lamia,

C'est toujours un plaisir que de vous recevoir mon ami, veuillez excuser ce remue ménage... L'on me parle de nettoyage de Khalis quand bien même que le Printemps est là depuis Elésias déjà.

Il s'avança et le salua à la Khorélienne...........

Maedui regarda, avec un air détaché, les serviteurs sortir pour laisser les deux grands hommes discuter de la colonie.

Le chef des partisans rendit son salut et continua dans un premier temps les politesses.

Il ne serait guère convenable de ne pas vous pardonner. Hélas, les bâtisses de Sâr semblent attirer la poussière : l'hostel est lui-même occupé à la même activité.

Trève de politesses, il était temps de passer aux choses sérieuses.

Gouverneur, sachez tout d'abord que je n'agis pas uniquement au nom des Partisans, j'agis bien plus en tant que vicomte de Lamia. C'est en tant que sujet de la colonie que je viens vous faire part de mes inquiétudes quant à l'avenir proche.

Après la révolte, la gouvernance, soutenue par l'académie, a combattu les affres laissées par le Baiser de Latani. Mais depuis, elle semble engourdie, hésitante dans les actions à mener. Pendant ce temps, les seigneurs sont de plus en plus enclins à délaisser la gouvernance pour leur profit propre. Le peuple est délaissée, et plus aucun seigneur ne se prétend son défenseur. Nous, Partisans, payons les mensonges du Traître qui, en nous faisant passés pour des manipulateurs vous manoeuvrant comme un pantin, nous a décrédibilisés auprès du peuple. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons préféré mettre une certaine distance.

Mais le temps presse à présent. La colonie se désunit, les seigneurs et les guildes maintiennent le statut quo et attendent le moment propice pour surgir et revendiquer le pouvoir et le peuple attend désespérémment qu'un nouvel espoir les soulève à nouveau. Nous avons encore le choix d'attendre que cet espoir les soulève contre la gouvernance et contre les intérêts des Partisans ou représenter nous même cet espoir.

Je ne tairai pas mes doutes. Je doute de votre volonté d'agir pour le bien d'Edénia et non pas pour le bien de quelques uns qui vous contraindrez d'abonder dans leur sens pour bénéficier de leur soutien. Je doute de votre volonté de contrer définitivement les plans du traître Hadril qui, s'il était deux fois félon, a certainement compris avant nous tous le mal être de la population, car, quel que fut son charisme, je doute que le peuple ne se soit révolté sans autre fondement que les propos divaguant d'un fou.

Il est probablement trop tard pour changer l'image des Partisans. Il est certainement trop tard pour devenir le Héros du peuple comme le fut mon adversaire d'autrefois. Mais je refuserai de laisser derrière moi mes idéaux, de laisser la colonie sombrer sans réagir

Si la gouvernance a déjà des propositions et travail au bien du peuple, les Partisans se joindront à elle, je me joindrais à elle et mettrais toute la puissance de Sybaris à la disposition de cette cause. Si la gouvernance attendait le soutien, cherchait des propositions, unissons nos idées, nos efforts pour construire l'Edénia de demain. Si la gouvernance est trop faible, trop préoccupée par l'égocentrisme de la noblesse, alors j'agirai comme il le faudra.

La situation est grave, Gouverneur Télamon. Mon ton est dur, mes propos froids mais sachez que je ne blâme personne autant que moi-même, hormis le traître et ses alliés. Quelque chose doit-être fait. Quelle est la positio de la Gouvernance ?

Probablement, ce discours ne plairait pas en son intégralité au gouverneur. Mais Maedui était arrivé à un âge et à un état d'esprit ou ménager les susceptibilités était le moindre de ses soucis.

Télamon était passé d'un visage plus ou moins heureux à sombre et sérieux.

Il avait levé la tête pour inspirer et expirer lentement. Il était déjà résigné à agir, mais il n'avait encore rien mis en branle.

Les Edéniens sont des enfants gâtés...

Il ne parla pas pendant quelques secondes puis reprit.

Depuis le premier jour où je me suis assis sur ce trône, j'ai vu et entendu bien plus que je n'aurais pu croire possible lors de toute une vie.

Hypocrites et rêveurs de gloire, idiots et puissants seigneurs, petits marchands et prêtres allumés... Edénia est une cacophonie et la Gouvernance en est le chef d'orchestre.

Je vais vous exposer ma position, car j'ai grande estime pour vous et vous êtes peut être l'un des seuls seigneurs à comprendre les enjeux actuels et la situation de la Colonie.

Il se toucha la coin de l'oeil et joignit ses mains derrière le dos.

Je suis Gouverneur d'Edénia, Colonie de Khorel. Trop longtemps, cette Colonie a été le théâtre d'une organisation encourageant au chaos et à l'avarice belliqueuse.

Hadril le Fou est le summum de ce que j'ai toujours redouté : homme brillant, aimé du peuple pour avoir enfreint aux ordres de Port Sâr, il est l'ultime hypocrite et assassin d'une contrée. Il est le catalyseur de la destruction, il est le poison dormant d'une maladie foudroyante.
Il a contaminé les esprits, il a utilisé le peuple comme bouclier et prit la dureté de la vie en Edénia pour appuyer ses desseins. Il est le maître de ce que j'ai toujours exécré en ce bas monde, nommé Colonie de Khorel.

J'ai comme ambition de me rapprocher du peuple et de renforcer la position de la Gouvernance en Edénia. Et c'est La Muraille qui mènera l'assaut à mes côtés dés lors qu'un maximum aura été atteint. Taegus était bon conseiller, il m'avait toujours appris à "respecter la pensée des seigneurs tant qu'ils n'outrepassaient pas les ordres de la Gouvernance et n'allaient pas à l'encontre du bien du peuple".

Il était un temps où la négociation réussissait à elle seule, aujourd'hui d'autres actes sont nécessaires et j'ai la ferme intention de poser les règles et de tenir les enfants de la Colonie.

C'est ainsi que les Partisans de Khorel comprennent la Gouvernance : nous oeuvrons pour la Colonie, sans que la passion n'empoisonne notre bon sens.

Télamon avait parlé franchement, chose étrange pour un homme qui n'aimait guère les mots durs. Quelques mèches blanches parsemaient les cheveux blonds, son visage était plus dur qu'autrefois. Il paraissait pourtant plus sûr de lui et plus strict sur certains points. Peut être fatigué d'avoir oeuvré toutes ces années pour un résultat... chaotique.

Au moins, sur certains points, les deux hommes se rejoignaient. Il semblait que le chef des Partisans et le chef de la Colonie étaient passés par les même moment d'introspection, de réflexion sur le devenir de la colonie.

Oui, il est urgent de redonner un peu de sens à notre civilisation, à l'idée que nous nous faisons de notre peuple. Car le bilan actuel n'est guère réjouissant. Donnez un peu de pouvoir à quelques-uns, et ils auront tôt fait de proclamer leur dictature. Je suis navré que les Partisans ne puissent vous aider dans cette tâche. Agissant, nous ne ferions qu'affaiblir votre position en confirmant aux yeux de tous que vous n'êtes qu'un pantin entre nos mains. L'autorité coloniale doit être affermie sans notre aide, grâce à la seule force de l'armée. Mais nous nous acquiterons encore de nos tâches d'autrefois et d'aujourd'hui. En cas de nécessité, nous vous soutiendrons par une armée si forte que l'on y réfléchira à deux fois avant de vous défier. Je vous laisse seul juge de la façon dont gérer les prétentions des benets qu'un héritage a rendu maître d'une fraction de vos sujets.

Mais vous avez parlé de vous rapprocher du peuple. Peut-être pourriez-vous m'en dire plus. Car c'est aussi l'intention des Partisans.En connaissant vos projets, nous pourrions efficacement accompagner votre effort. Nous avions pour projet un nettoyage et un ravalement progressif de tout le nord de Sâr et peut-être racheter des stocks de nourriture afin de les remettre à disposition des plus nécessiteux à un coût moindre que celui sur le marché. Mais je dois prendre en compte l'impopularité de mes gens dans ces quartiers ou ils pourraient risquer leur vie pour leur appartenance à ma guilde, alors qu'il viendraient en aide à la population.Si la gouvernance nous entretenait de son action, nous pourrions, en l'espace de quelques mois, réunir d'importants fonds pour vous soutenir financièrement.

Le vicomte de Lamia attendit que Télamon se dévoile un peu plus.