Manfred du Diktat
Journal d'Antonin Viféclair
6 Ekharyl L’été s’achève, la morne saison reprend ses droits. La Grand Route que nous chevauchons est tapissée des innombrables feuilles mortes que les arbres environnant jettent sous les sabots de nos montures. La chaleur du Cap s’étiole à mesure que nous progressons vers Isabella, et mes compagnons maugréent chaque jour un peu plus en signe de protestation. Le moral n’est pas au beau fixe, mais nous avons fait le gros du chemin et arrivons bientôt à destination.
8 EkharylNous sommes enfin parvenus à Isabella. La bourgade est moins accueillante que dans mes souvenirs, à moins que la chaleur des cités du Cap n’ait quelque peu terni son éclat. Quoiqu’il en soit, nous n’avons pas attendu longtemps avant de poser pied à terre et de nous réfugier dans la meilleure auberge du coin. Même la compagnie des soûlards nous a paru réconfortante après la traversée de ces terres sauvages peuplée de Huantars. Et ce n’est pas leur sympathie pour nous suzerain qui changerait quoi que ce soit à l’affaire. Les Huantars sont dangereux, c’est tout ce que j’ai à savoir.
Le soir de notre arrivée, nous avons été accueillis dans le château du seigneur d’Emerande. Le suzerain n’était pas présent, bien entendu, mais nous y avons rencontré l’un de ses intendants. Celui-ci nous a expliqué le motif de notre venu. Je dois dire que ce genre de réunion informelle ne me passionne pas, mais le danger que notre homme semblait souligner avec force m’a paru relativement important.
Entre deux, l’intendant nous a relaté les troubles qui agitent la frontière du Lac de sel, et particulièrement aux endroits qui séparent le fief de la contrée du Val d’Esterel. Un nom que peu d’Isabellois apprécient. Après nous avoir livrés quelques détails affriolants quant aux escarmouche qui opposent par endroit nos troupes, l’intendant nous a chargés d’enquêter sur place. Tout cela m’a paru un peu rapide et, pour tout dire, légèrement exagéré. N’importe quelle poignée de soldats aurait pu se charger de la besogne. Quoiqu’il en soit, nous partirons dès demain pour la frontière.
12 EkharylNous avons traversé la forêt du Lac de Sel. La végétation abondante mêlée à la chaleur des lieux a rendu l’exploration éprouvante. Cependant, nous avons maintenant atteint la lisière. Le Val d’Esterel se profile au loin. Nous installerons provisoirement notre campement ici même. Si l’adversaire nous assaille depuis le Val, nous nous réfugierons dans les sous-bois. Au contraire, nous profiterons de nos montures pour cavaler vers Valembois si l’adversaire surgit depuis la forêt.
16 EkharylNous sommes restés plus longtemps que prévu à la lisière. Une étrange activité règne depuis quelques jours dans le Val d’Esterel. Des patrouilles défilent par dizaine en contrebas, des militaires au blason inconnu qui inspectent la région. Heureusement, ces hommes ne sont guère alerte et notre campement n’a pas encore été repéré. Par précaution toutefois, nous déplacerons notre matériel un peu plus loin dans la forêt et nous limiterons notre présence aux environs de la lisière à la surveillance.
Ces militaires, donc, ne paraissent obéir à aucun seigneur de la région. L’un de mes compagnons a émis la possibilité que le Val d’Esterel ait pu être envahi. Je le crains également, bien que Valembois, plus loin, ne semble pas porter les stigmates du combat. Le seigneur Heinrich aurait-il choisi de changer de blason ? Je ne comprends pas la signification d’un tel geste. Cependant, tout cela est assez inquiétant pour éveiller ma curiosité. Je crains qu’un tel déploiement de troupe ne serve à préparer une invasion.
18 EkharylLes soldats ennemis se font de plus en plus nombreux. Nos propres troupes ont déserté la frontière sur ordre d’Isabella – je tiens d’ailleurs à remercier l’intendant de nous laisser découvrir la teneur de ses instructions sur place – et nous restons désormais comme de pauvres bougres, à surveiller seuls un adversaire qui s’approche toujours un peu plus.
19 EkharylCe que nous craignions arrive. Depuis quelques heures, plusieurs groupes de soldat franchissent la frontière du Val d’Esterel et s’enfoncent dans la forêt, en direction du Lac de Sel. Nous nous sommes promptement replié vers l’arrière, mais certains de mes compagnons ont insisté pour rester sur les lieux et épier les mouvements adverses. Je crains ne plus recevoir de leurs nouvelles.
20 EkharylNotre retraite est plus difficile que prévue. En début de journée, nous avons rencontré un petit détachement adverse. L’affrontement a été meurtrier. Pour nous. Je m’en suis tiré à bon compte mais certains de mes compagnons y ont laissé leur vie. Nous ne sommes plus que cinq, isolés et désespérés. Nous n’avons guère le choix. Si l’ennemi compte nous prendre à revers, nous allons devoir contourner ses positions. Le retour à Isabella sera bien plus long que l’aller.
Malgré sa supériorité numérique, l’ennemi se faufile avec aisance au travers de la forêt, et ses troupes rapides parviennent à surpasser notre avance. Je gage que certains hameaux perdus au cœur de la forêt sont déjà tombés aux mains de l’envahisseur. Nos moyens de communications sont dérisoires dans cette région, le seigneur d’Emerande ayant davantage investi sur les terres du Cap. Les routes sont mal entretenues – ce qui, je dois le dire, contribuera peut-être à retarder nos poursuivants, et les renforts ne seront pas acheminés rapidement depuis Isabella.
24 EkharylLa situation est désespérée. La forêt est passée sous le contrôle de l’envahisseur, et seules les bourgades côtières du Lac de Sel appartiennent encore au seigneur d’Emerande. Nous avons fui les combat et rejoints Isabella à temps pour nous claquemurer derrière les murs réconfortants de la bourgade. Le seul havre de paix dans la région.
29 EkharylIsabella est encerclée. Les assiégeants sont peu nombreux, mais ils compensent leur infériorité numérique par une organisation sans faille et une détermination incomparable. Plus impressionnants, tout du moins, que la pauvre garnison sensée assurer la défense de la ville. Je sais que la bourgade tombera tôt ou tard, et si je me suis jusque là comporté en loyal soldat d’Isabella, je me refuse cependant à rester tapis entre les murs de la ville pour finalement payer le prix de l’incompétence de nos dirigeants.
30 EkharylDeuxième jour de siège. Je ne sais que faire. Peut-être devrais-je profiter des brèches adverses et m’y engouffrer pour fuir les lieux ? Cependant, ma désertion risquerait d’être rapportée et j’aurais alors tout intérêt à changer de province.
Jour des Tombeaux ouvertTroisième jour de siège. Aujourd’hui, un soldat de la ville est venu solliciter notre aide. Visiblement, la garnison locale passe plus de temps à maintenir le calme qu’à repousser les rares assauts de l’adversaire. Je ne m’imaginais pas les sièges ainsi. La vie continue, avec cependant moins de facilité et le risque de courir à la famine.
Aujourd’hui a lieu la fête des morts. Joyeuse perspective dans notre situation. Je crains que cela ne soit un présage, tout comme ont pu l’interpréter nos assaillants. Un présage funeste pour Isabella. Les dieux ne seront pas avec nous pour la bataille.
2 NeredasCinquième jour de siège. Nous avons de nouveau rencontré l’intendant. D’après ses dires, les réserves de grains ont considérablement diminué hier. Je crois qu’il soupçonne l’armée de s’accorder de généreuses rations. Quoiqu’il en soit, nous ne tiendrons plus longtemps.
3 NeredasAvec quelques compagnons, nous avons discrètement embarqué sur un petit esquif, prétextant quelque obscure mission de reconnaissance. Puis nous avons ramé autant que nous le pouvions vers l’autre rive, le Cap de Sainte Augure, notre espoir de liberté. Nous n’étions pas fier de notre geste, mais nos doutes se sont immédiatement apaisés lorsque, bivouaquant non loin de la côte, nous aperçûmes des colonnes de fumée s’élever au-dessus d’Isabella. L’ennemi venait de s’emparer de la ville
7 NeredasD’un commun accord, nous avons décidé de rester sur le Cap. La province est vaste, certes dangereuse, mais propice à la fuite. Les cités y sont importantes, mal surveillées. Par ailleurs, nos familles respectives y résident. Je pense que nous trouverons à Port-Auguste la sécurité que nous recherchons. J’espère simplement que les mystérieux assaillants d’Isabella ne nous y suivrons pas.